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12 juin 2008

"Heavy Metal in Baghdad"

Cinéma 3/4

J'y connais rien à la crise en Irak mais, une fois n'est pas coutume, je suis allé la semaine dernière au cinéma voir un documentaire du nom de "Heavy Metal in Baghdad" qui était diffusé pour une séance unique au MK2 Quai de Seine à Paris dans le cadre du festival "Filmer la musique". C'est un film que j'avais déjà repéré il y a un bout de temps et que j'avais vraiment envie de voir étant donné que je suis très intéressé par tous les documentaires "sérieux" qui ont attrait à mon style musical de prédilection. Cependant, malgré ce que son titre pourrait faire penser et contrairement à l'excellent documentaire "Metal : Voyage au coeur de la bête" de Sam Dunn que j'ai également eu la chance de voir au ciné (et dont j'attends avec impatience sa suite "Global Metal" qui semble se rapprocher sur bien des points à ce "Heavy Metal in Baghdad"), ce documentaire est loin d'être susceptible de n'intéresser qu'un public d'initiés au metal et je dirais même que la musique passe très vite au second plan. C'est simple : nous avons là un témoignage poignant du désespoir mais surtout du courage de la jeunesse irakienne, des jeunes pourtant si proches de vous et moi qui souhaitent tout bêtement vivre leurs passions. Mais ce documentaire est également un témoignage efficace sur le chaos qui règne en Irak depuis la chute du régime de Saddam Hussein. Il a été sélectionné pour la "Berlinade 2008" mais en est malheureusement ressorti sans aucune récompense. Je n'imaginais vraiment pas qu'il serait diffusé un jour dans une quelconque salle obscure en France et j'étais plutôt résigné à attendre encore des mois avant une éventuelle sortie en DVD. Ce n'est d'ailleurs que la veille et totalement par hasard que j'ai appris sa diffusion, on ne peut vraiment pas dire que l'info a circulé du coup! Mais finalement, la grande salle du MK2 n'était pas aussi vide que ce que je craignais.

Eddy Moretti et Suroosh Alvi, qui réalisent ce "Heavy Metal in Baghdad", travaillent tous les deux pour l'iconoclaste magazine canadien Vice, au contenu souvent irrévérencieux et controversé. C'est en 2003, en lisant un article consacré au seul groupe de heavy metal irakien du nom d'Acrassicauda (qui est le terme latin pour désigner le scorpion noir, le plus dangereux de son espèce), que les deux compères décident de venir rencontrer les membres du groupe basé à Bagdad, juste après la chute du régime de Saddam Hussein. Je me rappelle d'ailleurs avoir vu la même année un très court reportage sur ce groupe dans l'émission "Le journal des bonnes nouvelles" sur Canal+, un peu avant l'invasion américaine, qui nous montrait les musiciens en train de jouer un morceau à la gloire de Saddam Hussein. En fait, ce que ne nous disait pas le reportage à l'époque, c'est que le groupe avait été obligé d'écrire cette chanson pour pouvoir être autorisé à jouer leur musique. Bref, avec "Heavy Metal in Baghdad", Eddy Moretti et Suroosh Alvi suivent les membres d'Acrassicauda sur 4 années, de 2003 à 2006, de manière très espacée. La première rencontre se passe donc en 2003, à Bagdad, dans le local de répétition du groupe situé dans le sous-sol du magasin d'un des musiciens. On se rend compte qu'au moins deux des gars du groupe, le batteur et surtout le bassiste, parlent un anglais parfait maîtrisant même les termes argotiques. Ils disent qu'ils ont appris à parler anglais en écoutant des lives de Metallica, Slipknot et d'autres groupes américains mais ça n'en reste pas moins impressionnant. Les réalisateurs du documentaire se débrouilleront par la suite pour organiser un concert du groupe dans le hall d'un hôtel même s'ils ne pourront pas y assister, coincés dans un pays voisin (en Jordanie il me semble) et ils laissent un collègue danois présent sur place filmer le tout. Rien que ce concert est une galère sans nom à réaliser : déjà il y a les menaces de ceux qui considèrent qu'ils jouent une musique américanisée doublée d'une musique de suppôts de Satan, il faut demander plusieurs fois les autorisations aux autorités (logique) qui ont la mémoire assez courte (on a le droit à des scènes assez cocasses comme quand le groupe va voir un soldat américain qui semble assez hébété que des jeunes irakiens lui demandent s'ils peuvent faire leur concert de metal), l'électricité saute régulièrement et le groupe doit utiliser un groupe électrogène de fortune, il y a des obus qui tombent aux alentours, etc... mais ça n'empêchera pas le groupe de tout donner et la quarantaine de jeunes présents au concert de totalement s'éclater! Ils se laissent même aller à du "headbanging" (l'action de remuer sa tête de haut en bas sur le rythme de la musique) même s'ils n'ont pas les cheveux longs et que le headbanging est encore mal vu en Irak étant donné que... ça ressemblerait aux mouvements que font les juifs lors de leurs prières! Assez chaotique tout cela donc... mais tellement rien par rapport à la situation du pays 3 ans plus tard!

En effet, Eddy Moretti et Suroosh Alvi reviennent en Irak en 2006 pour voir entre autre s'il reste des gars d'Acrassicauda vivants et pour savoir ce qu'ils sont devenus. Sauf que les visas sont désormais très durs à obtenir donc nos deux hommes vont en Allemagne pour pouvoir prendre le seul vol disponible pour le Kurdistan (Suroosh Alvi nous lit juste avant, complètement flippé, un article d'une journaliste du Times qui indique que le pilote de l'avion de ligne, par mesure de sécurité, doit faire faire une sorte de chute libre à l'engin pour éviter les tirs avant de se poser sur la piste) et ils vont tenter ainsi de passer la frontière irakienne par la route, un plan de malade quoi! Ils arrivent bien à atteindre l'Irak et là... les images qui s'enchaînent m'ont estomaqué, je pense que l'enfer existe bien sur Terre et qu'il se situe plus que certainement en Irak! La désolation est partout : les bâtiments sont en ruine, nos journalistes doivent porter un gilet pare-balles et circuler en 4x4 blindé avec une armada de gardes du corps locaux sur-armés pour 1500$ par jour car il y a des snipers partout qui tirent sur n'importe qui sans compter les kidnappings et les 300 morts quotidiens, etc... Même lorsque nos journalistes veulent s'arrêter 5 minutes dans un endroit à quelques centaines de mètres en face de leur hôtel d'où ils avaient entendu des rafales de tirs la veille au soir, leurs gardes du corps commencent à être complètement nerveux et à péter les plombs. Il faut dire que ce ne sont souvent que des citoyens normaux, ingénieurs ou commerçants, qui gagnent leur vie en faisant ce métier à côté. Et pendant ce temps, des journalistes de l'AFP font leurs reportages laconiques dans le hall de leur hôtel... Nos journalistes de Vice retrouvent le bassiste d'Acrassicauda et tombent d'accord, non sans mal, sur un lieu où ils pourront discuter en sécurité. Le bassiste leur apprend qu'il n'a pas vu les autres membres du groupe depuis 2 ans, alors même qu'un des gars habite à quelques mètres de chez lui, la plupart s'étant réfugié en Syrie. De même, leur local de répétition a été complètement anéanti par une roquette...

Bref, il y aurait tellement de choses à raconter sur ce documentaire mais d'une part, je risquerais d'oublier des tas de scènes (souvent hallucinantes comme ce type qui se baigne tranquillement dans la piscine extérieure d'un hôtel en Irak alors qu'il y a des rafales de tirs à une centaine de mètres de là) et d'autre part, tout cela serait de toute façon dérisoire à côté des images bien plus parlantes. Bon, ce film est loin d'être irréprochable : c'est souvent filmé à l'arrache avec les moyens du bord, ça donne envie de vomir tellement c'est mal cadré et que ça bouge de partout, il y a quelques longueurs, ... mais tout cela est tellement plus marquant que les dépêches laconiques de l'AFP ou les photos prises depuis les tanks américains! Comme je le disais, le heavy metal irakien n'est ici qu'une petite cocasserie comme point de départ du documentaire qu'on oublie finalement assez vite. Au fur et à mesure du doc, nous ne voyons plus à l'écran que des jeunes gens tout à fait "normaux" qui veulent juste avoir une vie normale mais dont le quotidien est la haine, la violence et la mort. A la fin on se dit même que c'est incroyable que le groupe soit encore en vie! Et on sort surtout de la séance avec un immense respect pour des jeunes gens qui savent ce que signifie "mourir pour sa passion", les groupes occidentaux qui nous parlent de "die for metal" dans leurs paroles nous semblent alors bien ridicules à côté! On sort également assez interrogatif au sujet de cette nouvelle "démocratie" installée par les américains et au sujet des fanatiques qui tuent arbitrairement leurs "frères" civils. Mais bon, je suis bien mauvais philosophe et piètre expert politique donc je m'arrêterai là sur ces considérations mais en tout cas, les choses ne sont pas toujours comme les médias veulent nous les montrer, comme par exemple la supposée haine entre les chiites et les sunnites, le bassiste d'Acrassicauda nous disant par exemple que sa femme est chiite alors que lui est sunnite (ou l'inverse). A la fin, les réalisateurs du documentaire retrouvent le groupe qui s'est réfugié au grand complet en Syrie, loin de la guerre civile (non sans avoir croisé, lors de leur exil, des bus totalement braqués au milieu du désert et s'étant fait braquer eux-même par leur chauffeur). Pourtant ils ne sont pas heureux pour autant, étant considérés comme des moins que rien en Syrie dont la population est plus que certainement lassée par le flot de réfugiés irakiens dans leur pays (plus d'un million) et étant donné peut-être que la guerre Iran-Irak dans les années 80 a laissé des rancoeurs, la Syrie étant à l'époque pro-Iran... Cependant, ce qu'on voudra retenir c'est surtout la joie des musiciens lorsqu'ils jouent leur musique devant un public conquis (alors qu'ils n'avaient pas rejoué ensemble depuis des années et que c'était seulement leur 6e concert en 6 ans) ou lorsqu'ils jubilent comme des gosses quand ils enregistrent leur démo en studio.

J'y connais toujours rien mais voilà donc un documentaire édifiant et avec un point de départ original sur un conflit qui nous semble si banal. Pour ce qui est d'Acrassicauda, les membres du groupes sont actuellement exilés en Turquie, à suivre...


Commentaires :

Passionnant ton récit. Ca me donne foutrement envie d'aller voir ce film, mais pour l'instant, il ne semble pas prêt de passer par chez moi :(
Commentaire de A.M.E | Le 12 juin 2008 à 12:03

C'est pas une crise qu'il y a en Irak mais une guerre...mais bon les medias en ont pas beacoup parlé.
Commentaire de La banane | Le 08 août 2008 à 17:23

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