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18 avril 2008

"La vie devant soi"

Théâtre 3/4

J'y connais rien au prix Goncourt mais je suis allé voir la pièce "La vie devant soi", adaptée du roman de Romain Gary, lequel a donc gagné pour ce livre le prix Goncourt en 1975, avec entre autre Myriam Boyer qui n'est tout autre que la mère de Clovis Cornillac dans la vie, ça c'est pour la petite note people. Cela se passait au Théâtre Marigny à Paris où j'étais allé 2 jours auparavant pour voir "La tectonique des sentiments" sauf que cette fois-ci, la pièce se jouait dans le petit théâtre annexe. "La vie devant soi" raconte l'histoire de Madame Rosa (interprétée par Myriam Boyer), une vieille juive polonaise, ancienne prostituée, qui a survécu à Auschwitz et qui tient une pension un peu spéciale dans son petit appartement situé au 6ème étage sans ascenseur à Belleville puisqu'elle s'occupe justement, de façon temporaire, d'enfants de prostituées quand ces dernières ne peuvent pas s'en occuper à cause de leur travail (Madame Rosa a d'ailleurs une expression particulière pour désigner le plus vieux métier du monde : elle dit que les femmes qui le pratiquent vont se "défendre") et à cause de la loi française. Il faut dire que ces femmes sont souvent étrangères et en situation irrégulière et Madame Rosa cache les enfants en quelque sorte pour qu'ils ne soient pas repris par l'Assistance Publique. Elle est aidée pour cela du docteur Katz, un juif comme elle, qui vient soigner les enfants et fourni de faux certificats de santé pour qu'ils puissent aller à l'école. Madame Rosa n'a plus qu'un jeune garçon à s'occuper, le turbulent, naïf mais néanmoins hyper sensible et éveillé Mohammed, surnommé Momo pour faire original, un "enfant de pute" âgé d'environ 13 ans. Il faut dire que la pilule contraceptive étant arrivée sur le marché depuis quelques années, Madame Rosa est beaucoup moins sollicitée et de plus, il arrive que la mère trouve une situation plus respectable dans son pays d'origine et reprenne son enfant pour l'emmener avec elle. De toute façon, c'est mieux ainsi car Madame Rosa commence à être très fatiguée et malade. Pour en revenir à Momo, sa mère est morte et son père, qui a complètement disparu de la circulation depuis, a confié l'enfant alors âgé de 3-4 ans à Madame Rosa avec pour seule instruction qu'il soit élevé "dans un état musulman", ce qu'elle a respecté. En fait, l'histoire peut-être résumée en une véritable histoire d'amour maternel entre ce jeune musulman et cette vieille juive, amour qui durera jusqu'à la mort de cette dernière.

Au premier abord, on pourrait croire que l'histoire ne prête vraiment pas à sourire et qu'on risque de bien déprimer pendant les 2h15 sans entracte de la pièce. Et pourtant, cette histoire est bourrée d'humour et on rit plus d'une fois. Il faut dire que le narrateur est le jeune Momo et qu'il a une façon toute naïve de s'exprimer avec son vocabulaire approximatif, ce qui dédramatise certaines situations. La scène que j'ai trouvé la plus hilarante est quand le père de Momo vient rechercher son fils. On apprend en fait que c'est lui qui a tué sa femme dont il était le proxénète car elle faisait jusqu'à 20 passes par jour et qu'il était "devenu jaloux". Il a prôné la folie pour se dédouaner de son acte et a passé 11 ans enfermé dans un hôpital psychiatrique dont il a été libéré depuis peu. Bon, je vous rassure, c'est pas ça que j'ai trouvé drôle hein, j'établis juste le contexte. Donc il débarque chez Madame Rosa qui fait mine de ne pas le reconnaître et, pour le dissuader de reprendre son fils, elle lui fait croire qu'elle l'a appelé Moïse et l'a élevé dans la tradition juive par erreur car Momo est arrivé en même temps qu'un Moïse et qu'elle s'est trompée de nom et de religion entre les deux, la scène est vraiment énorme! D'ailleurs, "La vie devant soi" est une réflexion assez piquante et sans complaisance sur la religion mais aussi sur la notion de "race" qui n'a de réalité qu'au contact des autres puisque ce n'est qu'à partir du moment où il a commencé à fréquenter l'école que Momo a appris qu'il était "arabe" et que c'était une insulte dans la bouche de certains. En fait la pièce est une succession de scènes douces amères et de discussions sur des sujets lourds mais qui tournent vite au cocasse. Madame Rosa va peu à peu perdre la tête suite à différentes attaques cardiaques, sûrement dues en partie à sa peur de tout ce qui l'entoure (il lui arrive souvent de crier durant la nuit en cauchemardant sur les allemands qui viennent la chercher). Ainsi il y a quelques scènes où elle fait en quelque sorte des rêves éveillés au sujet de ses jeunes années dont une scène où elle s'habille comme au temps où elle se "défendait" sous le regard horrifié de Momo.

Venons-en aux acteurs, j'ai trouvé qu'ils jouaient tous très bien même si le gars qui interprète Momo n'était pas spécialement crédible dans un rôle de garçon de 15 ans (en fait Madame Rosa a menti sur l'âge de Momo pour le "freiner" et le garder plus longtemps) puisqu'il en avait largement une bonne vingtaine. Il a aussi tendance a beaucoup exagérer les expressions de son personnage mais je n'ai pas lu le bouquin et c'est peut-être fidèle à la vision de l'auteur et de toute façon c'est ce côté exubérant qui fait le charme du personnage et dédramatise l'histoire. En tout cas, les autres acteurs jouaient vraiment de façon authentique, ça m'a fait penser un peu à la façon de jouer de la troupe du Théâtre du Soleil mais j'y connais rien et je n'ai que ça comme référence. Pour ce qui est des décors, ils étaient simples et techniques à la fois puisqu'il y avait un système de rideaux qui étaient transparents selon la lumière et sur lesquels pouvaient être projetées des images animées. Ainsi on passait sans gros changements de décor de l'appartement de Madame Rosa à la cave, "le trou juif", où cette dernière va prier. La pièce n'était pas exempt d'éléments sonores puisque qu'il y avait quelques musiques et, entre les scènes, on entendait un enregistrement de la voix de Momo qui narre l'histoire, une façon de couvrir au maximum l'ensemble du livre en 2h15.

J'y connais toujours rien mais voila une pièce très poignante sans être indigeste et de laquelle on sort le sourire aux lèvres malgré le début un peu lent et la fin assez tragique.